La prise de décision en situation de crise : regards croisés Compétition Sportive / Grand groupe industriel

23 Avr, 2020 | news

Si les processus décisionnels sont largement documentés, présentés et développés dans de nombreux ouvrages et formations, les situations de crise transforment profondément la mise en œuvre de ces mécanismes.

Florence Dufrasnes, 30 ans d’expérience de direction technique ou projet dans des grands groupes de haute technologie, et Benjamin Boukpeti, kayakiste médaillé olympique, échangent leurs regards et expériences sur la décision en situation de crise.

Florence Dufrasnes Benjamin Boukpeti

Florence : Benjamin, dans ton parcours de sportif à haut niveau, comment se caractérise la prise de décision en situation de crise ?

Benjamin : Lorsque tu me dis qu’une situation de crise est une période pendant laquelle, contrairement à une situation «normale», tu dois prendre des décisions :

  • dans un temps extrêmement court,
  • prendre en considération une somme d’informations partielles, parfois incertaines,
  • faire de ton mieux avec des ressources limitées à celles dont tu disposes à cet instant,
  • savoir ajuster ton action à un environnement ou des conditions changeantes, alors, je pense assez naturellement à ce que je vis en compétition.

En particulier une finale de grand championnat ou des Jeux Olympiques. Dans ces moments là, vont se jouer en quelques secondes, une période de 4 ans, voire, une carrière entière ! La différence avec ton expérience industrielle, c’est que mes crises sont ……planifiées 😉
Pour moi, la clé en compétition : maintenir constamment le focus sur ce qui est primordial pour atteindre le résultat escompté. L’objectif est de se rapprocher le plus possible d’un niveau d’exécution optimale en tenant compte essentiellement des conditions de l’instant présent, sans se laisser perturber par les imperfections passées ou par le désir de vouloir tirer des leçons de l’expérience vécue. Il s’agit de garder la tête froide… pour cela je travaille en priorité sur la gestion de mes émotions pour parvenir à rester neutre.

Benjamin : Et toi, Florence, quelles spécificités vois-tu à la prise de décision de crise dans les grands groupes ?

Florence : Benjamin, je partage tout à fait ton point de vue sur l’importance de la gestion des émotions, toujours exacerbées en cas de crise. Celles des personnes en situation de décision, qui doivent savoir les reconnaître, les accepter mais ne pas se laisser submerger par ces émotions; mais celles de tous les concernés, qui doivent être anticipées, accueillies et intégrées au dispositif d’action.
Ce qui prédomine c’est naturellement le caractère tragique d’une crise et de ses conséquences, et c’est la conscience des enjeux qui permet la réponse spontanée, rapide et pertinente.

Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, j’ai envie de parler de ce qu’une situation de crise porte en elle en terme d’opportunités. C’est à la fois :

– un accélérateur d’expériences
– un révélateur de vrais talents ( leadership, tout comme ingéniosité )
– une opportunité d’innovation frugale ( de la rareté…de temps, de ressources, de moyens….naît l’innovation ! )

Benjamin : Je te rejoins sur le fait que la situation de crise est un révélateur de ce qui est à un instant donné : tout autant des talents, que des défaillances. C’est donc selon moi une situation clé à partir de laquelle il est important de capitaliser.
Dans le monde du sport de haut niveau, nous sommes sur-équipés et préparés pour capturer les moindres détails de tout ce qui se passe les jours de compétitions : observateurs, prises de notes, vidéos, traceurs, logiciels spécifiques, etc. Nous prendrons le temps nécessaire pour tirer un maximum de valeur de ces expériences, mais seulement une fois que la compétition sera terminée. Par ailleurs, si les conditions de réussite de l’exercice pourraient être comparables, les objectifs sont certainement distincts. Quand je me prépare et m’entraîne pour exécuter dans les « meilleures conditions » les gestes que je me suis appropriés, pour être créatif, pour prendre des risques et exceller en compétition, vous avez bien souvent la lourde tâche de faire en sorte de ne pas trop vous affaiblir voir de ne pas mourir face à une crise où les conditions sont fortement dégradées…

Benjamin Boukpetit, en pleine concentration juste avant le départ

Benjamin Boukpeti, en pleine concentration juste avant le départ

Florence : Dans les grands groupes, on est habitués à suivre des process qui garantissent la reproductibilité et la fiabilité des livrables. En temps normal, les décisions sont mûrement et longuement réfléchies, fréquemment collectives ; elles impliquent de nombreux acteurs, l’adhésion de toutes les parties prenantes au dispositif est recherché. Il existe plusieurs formes de crise, mais si l’on retient les caractéristiques citées au début, la crise va nécessiter des prises de décisions plus solitaires, en petit cercle, parfois au plus proche du terrain…..

Elle implique de sortir des modèles très interactionnels, et privilégie une forme de décision en mode «bulle», parfois relativement décentralisée.
Le choix des acteurs de la «cellule de crise» nécessite du doigté; au-delà des « fonctions » qui doivent participer, des compétences et savoirs des participants, le savoir-être et le comportemental sont fondamentaux.
Puis, si la décision est le fait d’un petit nombre, et la communication plus directive, l’exécution souvent repose sur de nombreux collaborateurs. Or, le paramètre «urgence» limite les échanges : c’est pourquoi la prise en compte des émotions de tous ceux concernés est importante et doit aussi permettre les conditions d’une boucle de «feedback», utile dans une telle période de cycles raccourcis et de données possiblement incomplètes.

Ce qui est sûr, c’est que quelles que soient les options ou les stratégies à mettre en place pour faire face, décider et réussir dans une situation extraordinaire, les acteurs concernés devront savoir mobiliser une énergie extraordinaire !

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